[Enquête] Covid 19 et Médias : Les radios associatives à l’épreuve de la crise sanitaire.
La pandémie de coronavirus a modifié durablement les pratiques journalistiques. Les radios associatives, plus vulnérables, ont dû faire preuve d’adaptation. Plongée au cœur de stations FM qui ont vu cet épisode impacter leurs façons de travailler plus ou moins durablement.
Le 16 mars 2020, après plusieurs semaines d’incertitude, le couperet tombe. Dans une allocution télévisée désormais historique, le Président de la République laisse perplexes les français. Dès le lendemain, la France entière est confinée. Stupeur générale et interrogations en pagaille. Alors que beaucoup s’interrogent sur le nombre de kilos de pâtes et de rouleaux d’essuie-tout nécessaires pour survivre, les quelque 30 millions d’actifs français se demandent, eux, s’ils vont pouvoir continuer à exercer leur profession, et si oui, de quelle manière.
Pour certains qui travaillent déjà exclusivement sur des supports numériques, l’adaptation va de soi, pour d’autres, un véritable chemin de croix débute. Les enseignants s’interrogent sur la possibilité de dispenser les cours à distance. Les metteurs en scène et leurs comédiens réfléchissent à une solution numérique pour continuer à diffuser leurs pièces. Les restaurateurs et commerçants, un temps groggy, se lancent tous azimuts dans la livraison. Dans cette frénésie d’adaptation, les acteurs médiatiques ne sont pas en reste. Journalistes, présentateurs et techniciens du son, habitués à se mélanger au sein des rédactions, doivent s’acclimater à vitesse grand V. Particulièrement dans la radio, média de l’instantanéité et de proximité par excellence, qui va connaître un véritable second souffle durant la crise.
Les radios associatives, fers de lance de l’adaptation face au covid.
Face aux différentes mesures prises par le gouvernement, toutes les stations ne sont pas égales. Selon leur statut, conféré par l’ARCOM, elles doivent remplir un certain nombre de critères et par conséquent respecter de nombreuses obligations. Parmi elles, on retrouve en plus grand nombre les radios associatives et locales, dites de catégorie A ou B. Leur modèle de financement, essentiellement basé sur les aides publiques et le FSER, rend la lutte pour leur survie durant la crise éminemment rude tant le gouvernement se focalise sur d’autres secteurs. Pour éviter que les signaux ne cessent d’émettre, adaptation et débrouillardise, maîtres mots de l’époque des premières radios pirates, refont surface. Suffisamment pour sauver ces antennes associatives ? C’est ce que nous allons voir.
À la recherche de témoignages …
Afin de nous plonger au cœur du navire radiophonique associatif, en première ligne pour satisfaire la soif d’informations des français durant cette étrange période, nous nous sommes mis à la recherche de certains de ses navigateurs. Une exploration agitée, dans un océan des possibles où il n’est pas si simple de poser ses lignes. On vous emmène avec nous dans cette quête à l’animateur vedette. Une immersion jusque dans les conversations internes de la rédaction, fil conducteur de cet article.
… une mission pas si simple.
Première discussion entre les membres du groupe, à la recherche d’un contact dans la radio, le 22/10/2024. Montage réalisée par Adam Elati.
La première fois qu’une de nos lignes s’est agitée, c’était en provenance du lot et plus précisément de Cahors, où se trouve l’une des sept rédactions de CFM Radio. Répartie sur les territoires lotois, tarnais et aveyronnais et forte de 96 000 auditeurs quotidien, cette radio associative à une vocation purement locale et sociale. Et c’est un de ses seize employés, Gilles Barré, qui témoigne à notre micro de son expérience d’animateur radio lors des différents épisodes de coronavirus. Une courte interview qui combine, pêle-mêle, son histoire avec la radio et ses ressentis vis-à-vis des bouleversements engendrés par cette crise. Tendez bien l’oreille, c’est maintenant.
Au cours de cet entretien, Gilles Barré évoque à la fois la force d’adaptation dont lui et ses collègues ont dû faire preuve durant la crise mais aussi un certain retour aux sources, à l’essence même de la radio. Il souligne à quel point les restrictions sanitaires les ont obligés à être multitâches. Il évoque l’obligation de réaliser les entretiens via téléphone, comme à l’époque des grandes radios libres. Il affirme qu’il y a une sollicitation encore plus grande envers les médias de proximité. En bref, pour lui, le covid et ses confinements sont presque apparus comme une opportunité pour des ondes en quête d’un renouveau, qui finalement se fait dans les vieux pots.
“Attention il y a aussi des radios qui ont carrément arrêtées d’émettre”
En aparté il nous met tout de même en garde, cette période n’a pas été qu’une grande cour de récréation. Ça a aussi été une période de tous les dangers due à la fragilité des annonceurs locaux secoués par la crise. “Je sais que j’en connais quelques autour de moi (des radios associatives locales) pour qui ça a été à peu près la même histoire. Maintenant, attention il y a aussi des radios qui ont carrément arrêtées d’émettre.” Et contrairement à ce que l’on aurait pu penser ce retour aux pratiques radiophoniques anciennes ne fut que spontané “Depuis la reprise de la normalité on a repris notre grille d’émission plus classique”. Fini donc les émissions interactives et participatives. Pour lui ce qui reste vraiment de cette crise c’est ce besoin de savoir ce qu’il se passe proche de chez nous en temps réel “La radio a été là la fenêtre par laquelle la population a scruté l’évolution de la pandémie jour après jour.”
La chasse à l’animateur se poursuit
“On joue un rôle d’alliage social”
Extrait d’un entretien réalisé avec le responsable d’antenne de Radio Galaxie Bruno Verrier, par Noella Drouet et Cyril Cot le 25/10/2024.
Au sud de Toulouse, chez Radio Galaxie, le responsable de l’antenne Bruno Verrier divulgue les difficultés auxquelles il a dû faire face pendant la crise sanitaire. “J’ai été confronté à de nombreux problèmes techniques, c’est-à-dire du matériel en panne, les techniciens ne pouvaient pas se déplacer. C’était très formateur pour moi, car j’avais le technicien au téléphone qui me demandait de prendre en photo le matériel ou de démonter le matériel, et de me guider comme il pouvait. C’est ainsi qu’on a dépensé pas mal de problèmes qui paraissaient insolubles.” Des difficultés en interne ne freinant pas ses acteurs de l’information, “On joue un rôle d’alliage social” affirme Bruno Verrier.
Photomontage de Bruno Verrier réalisé sur Juxtapose JS. Photographie originale issue du site internet de Radio Galaxie.
Beaucoup de bricolage, d’adaptation chez ces stations locales bien souvent associatives. Elles bataillent sous les contraintes afin de perdurer leur mission auprès des français reclus chez eux. À regarder en détail à Lille dans sa Radio Campus :
Au cœur de Radio Campus Lille, quand détermination rime avec adaptation
Écoutée majoritairement lors des déplacements en voiture, le poste FM, installée confortablement dans l’habitacle, est un compagnon de route.
Transmettant un divertissement ainsi que des actualités variées, “L’information circule aussi dans le bouche-à-oreille à partir de la radio”. Confinés, l’occasion d’écouter le journal de 8 h sur la route du travail se fait rare. Les pratiques culturelles changent : entraînant inévitablement une baisse d’audience.
Afin de pallier cette perte, l’auditeur participe en devenant actionnaire. Gilles Barré témoigne : “Les gens nous appelaient de chez eux et communiquaient avec plusieurs personnes en même temps sur une même émission. Et ça attirait beaucoup de gens parce que comme c’était en direct, les gens pouvaient appeler et puis communiquer leurs sentiments sur tel événement et tout le monde pouvait en profiter”.
La radio de proximité se réinvente à sa manière avec ses propres moyens, concentrant la ligne éditoriale sur des actualités locales. Comblant “une vraie soif du public pour l’information” désireuse de contrainte l’évolution de la pandémie à côté de chez eux.
Aller plus loin avec : https://shs.cairn.info/revue-effeuillage-2020-1-page-58?lang=fr
Un nouveau danger pour les radios associatives ?
Troisième et dernière discussion entre les membres du groupe, qui alertent d’un nouveau danger pour les radios associatives, le 26/10/2024. Montage réalisée par Adam Elati.
Survivre au-delà de la pandémie, les radios associatives en péril face aux nouvelles restrictions budgétaires
Au sortir de la crise sanitaire, alors que la vie sociale et culturelle reprend son cours habituel, les radios associatives font face à une nouvelle menace. Le danger ? Une restriction budgétaire portée par la loi de finances de 2025. Gilles Barré, animateur de la station CFM, confie avec gravité “La moins bonne nouvelle, c’est qu’en ce moment, on est en train de vivre, malheureusement, la fameuse loi de finances 2025 qui pourrait peut-être mettre un terme à 750 radios locales en France, dont CFM. Puisque cette fameuse loi de finances aujourd’hui prévoit la baisse de 30% du Fonds de soutien à l’expression radiophonique”. Ce fond, le FSER, est vital pour ces radios. Pour beaucoup, il est garant de leur indépendance.
Le FSER n’est pas qu’un soutien financier, il est le levier crucial pour leur survie. Bruno Verrier de Radio Galaxie explique les spécificités du statut associatif, un modèle qui “dépend énormément des subventions et des aides allouées par les collectivités ou l’État”. Contrairement aux radios commerciales, les radios associatives ne peuvent pas se tourner vers la publicité pour assurer leur survie. C’est cette dépendance qui rend la diminution du FSER dramatique pour les petites stations.
Les radios associatives, voix des territoires isolés, médiatrice des initiatives locales, porteuses de culture, risquent aujourd’hui de disparaître sous le poids des restrictions. La crise sanitaire n’a été que la première épreuve, la menace budgétaire pourrait en être la dernière.
Par Guilhem Villemur, Adam Elati, Marina Morim, Noella Drouet, Remy Peris, Swane Dehais et Cyril Cot.