Des studios aux salons : Comment le covid a fait basculer la vie des animateurs radio ?
Rédigé par Judith Balayssac, Margot Bonal, Romane Bonneau, Romain Bouche, Louis Bourdeau, Sandy Decelier, Margot Domenges et Titouan Vial
La pandémie a bouleversé bien des secteurs et celui de la diffusion audio n’y a pas échappé. Les présentateurs ont dû s’adapter à un tourbillon d’actualités tout en jonglant avec l’isolement et l’incertitude. Entre surinformation, stress et aléas du direct à distance, leur santé mentale a été mise à l’épreuve.
Alors que le monde récupère des couleurs, ces voix familières reprennent le micro avec une nouvelle énergie, transformant les défis d’hier en opportunités de créativité.
Découvrez comment les voix du quotidien ont su s’adapter aux défis de l’imprévisible !
Animateur radio travaillant depuis chez lui, reflétant les défis et l’inquiétude de la période Covid. Illustration réalisée par Titouan Vial.
∞ Harris se lève et s’approche de la fenêtre. Dehors, seule la nature semble se réveiller, les oiseaux virevoltent entre les arbres dont les feuilles frémissent par la douce brise du matin. Harris, comme tout le monde, est coincé chez lui. Son café encore trop chaud pour le boire, il regarde son ordinateur. 137 messages en attente…
Mise en ambiance du contexte auquel les animateurs radio ont dû faire face : la masse et la contradiction des informations. Vidéo réalisée par Romane Bonneau.
Il navigue dans une mer d’informations contradictoires sur les réseaux sociaux, conscient de la responsabilité qui pèse sur lui : chaque mot peut influencer l’état d’esprit de ses auditeurs. Cette cacophonie médiatique le perturbe profondément, exacerbant son stress et son sentiment d’impuissance face à ce flot d’informations.
La santé mentale d’Harris se fragilise, tel un navire pris dans une tempête incessante, à l’image de tant de travailleurs durant cette pandémie tumultueuse. Chaque bulletin d’information, chaque session d’enregistrement pour son émission deviennent sources d’épuisement et d’anxiété.∞
Tempête en mer symbolisant les défis et incertitudes auxquels les animateurs radio faisaient face durant la pandémie. Illustration réalisée par Titouan Vial, le 18 octobre 2024
Naviguer dans le flou : les animateurs radio en quête de clarté
En pleine crise de COVID-19, la confusion règne sur le plan informationnel. Les animateurs radio, en qui la majorité de la population met sa confiance, se trouvent démunis face à des informations contradictoires.
Chaque jour, ils prennent le risque de diffuser des fausses informations et se voient contraints de faire preuve d’un discernement aiguisé pour trier et identifier leurs sources.
Quand les animateurs radios viennent accompagner le public dans la gestion de la crise sanitaire en relayant les bonnes pratiques et les consignes, ils endossent une responsabilité sociale qui excède leur seul rôle d’information.
Ils portent une lourde responsabilité, devant garder leur calme pour rassurer l’auditoire tout en maintenant leur crédibilité. Ces animateurs radio ont dû faire un véritable travail sur eux-mêmes pour dépasser leurs propres inquiétudes, leur stress et leurs peurs, afin de réconforter leur public.
Leur voix ne devait pas trahir leur angoisse, se refusant ainsi tout moment de faiblesse.
“On ne peut pas rester chez nous, il faut qu’on accompagne les gens”, a déclaré Rémy, un ancien animateur radio de Radio Présence.
Ces voix familières se sont vues évoluer et changer, toujours chaleureuses, mais parfois contraintes de prendre de la distance pour éviter l’impact émotionnel.
Certains présentateurs se décrivent comme un “mur” pour illustrer l’effet de leur isolement. Cela les a affectés au point d’en perdre leur empathie et leur sensibilité pour se protéger. Aborder des sujets tragiques liés à la pandémie peut avoir un coût émotionnel.
Le virtuel redéfinit le quotidien et les pratiques des animateurs
Dans des bureaux complètement déserts ou chez eux, les animateurs se sont vus écartés de toutes interactions et relations humaines.
Tous les formats ne deviennent plus que virtuels :
- les entretiens deviennent des appels téléphoniques,
- les rencontres se transforment en échange de messages,
- les intervenants refusent de se déplacer par peur d’être touché par la pandémie
“La pandémie de coronavirus a mis en lumière la capacité des journalistes à (re)penser leurs propres pratiques professionnelles”, Bernier, 2017.
À LIRE AUSSI — Le journalisme de la débrouille en contexte de crise sanitaire, J.M TCHATCHOUANG, 07 décembre 2020.
Mais à quel prix ?
La charge mentale invisible d’un animateur radio, mais une résilience à toute épreuve
Isolés du reste du monde, les animateurs doivent désormais assumer seuls les tâches de plusieurs personnes. Avec une réduction des effectifs de plus de la moitié, la charge de travail s’alourdit. Le rythme est de plus en plus soutenu. Le stress s’intensifie.
Tout en gérant la sur-médiatisation de la pandémie et la désinformation, les animateurs radios ont surtout fait face à l’isolement social et l’impact émotionnel.
De nouveaux défis se posent alors : informer sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas, rassurer, et identifier des contenus réalisables à distance.
Dans cette tourmente médiatique, leur rôle est plus crucial que jamais. Mais isolés face à leur écran, coupés de l’effervescence sociale, beaucoup ressentent une solitude grandissante et une inquiétude profonde. Les plus résilients voient toutefois cette épreuve comme une occasion de concrétiser de nouveaux projets.
Alexandre et Cédric vous en parlent…
Grâce à leur capacité à s’adapter et à innover, certains animateurs ont su tirer parti de la pandémie, transformant les leçons apprises en de nouvelles opportunités de connexion et de partage, pour mieux accompagner le retour à la normale.
“Le tout c’est de ne pas leur parler de covid toute la soirée” déclare Alexandre Chiavassa durant l’interview.
Face à une audience en quête grandissante d’informations, surtout lors de cette période de panique chargée en négativité, le rôle des animateurs convient aussi d’évoquer d’autres sujets divertissants permettant à l’auditeur de s’évader et d’oublier les temps difficiles.
À LIRE AUSSI : La radio apporte du réconfort pendant la pandémie de Covid-19, Nations Unies, 12 février 2021.
Derrière le micro, le quotidien chamboulé des animateurs
Le covid a été une période difficile pour l’ensemble de la population.
La crise était encore plus délicate pour les personnes qui travaillaient de près ou de loin dans le secteur social.
Il est dur d’accompagner, d’informer et de rassurer un public quand, soi-même, on a du mal à s’adapter à la situation.
Afin de comprendre un peu mieux les épreuves auxquelles les animateurs radio ont été confrontés, nous avons pu recueillir le précieux témoignage de Rémy Souloumiac, un ancien animateur d’une radio associative implantée depuis longtemps sur le territoire occitan, Radio Présence.
“ J’ai fait le premier confinement, […] une expérience assez inédite ! Je suis parti avant le début du deuxième confinement. On s’est retrouvé plus qu’à deux dans la radio sachant que d’habitude, on était une dizaine dans les locaux. On était les deux seules personnes avec Corinne (une journaliste était présente) à venir physiquement à la radio.”
Lors d’une interview, il partage son ressenti sur cette période qui lui a demandé beaucoup d’investissement.
La radio étant suivie par de nombreux individus, parfois âgés, il a senti qu’il se devait d’accompagner toutes les personnes isolées pour continuer à les informer et à les divertir.
Habituellement, Rémy animait une émission entre 7h et 9h puis 10h et 12h.
Durant la crise du covid-19, il était à l’antenne de 5h30 jusqu’à 14h, il lui arrivait même de terminer à 15h !
Extrait de sa réaction face à l’annonce du confinement :
“Comme tout le monde, ç’a été un petit peu un chamboulement. […] J’ai eu beaucoup d’inquiétudes, beaucoup de stress en tant qu’animateur radio. On s’est regardé avec Corinne (sa collègue journaliste) et on s’est dit que c’était notre devoir d’accompagner ces gens. On ne pouvait pas simplement rester chez nous. Il faut qu’on les accompagne. On est dans un média […] où on s’en fiche de notre état, tant que notre voix ne nous trahit pas. Il faut accompagner les gens au maximum. […] Il fallait être là pour ceux qui en avaient besoin. Ceux qui étaient en détresse en région Midi-Pyrénées. On sait qu’il y a des gens qui sont isolés, par exemple dans l’Ariège, même en Haute-Garonne, on connaît très bien nos auditeurs. En général, on sait que ça peut être des vieilles personnes qui sont seules chez elles, on n’avait pas le droit de les laisser en disant, “Ah bah covid, on n’est pas là, bon week-end. À bientôt ! ””.
Cette phase intense du covid l’a impacté émotionnellement et physiquement. Il était marqué par la fatigue et a eu la sensation d’être dans un tunnel du début à la fin.
Radio Présence étant une radio chrétienne, elle a mis en place un fonctionnement qui permettait aux auditeurs d’appeler la radio pour qu’ils puissent laisser des messages et des prières pour leurs défunts. Rémy devait traiter ces appels qui étaient parfois très touchants.
Dans cet environnement de travail bouleversé par la crise sanitaire, Rémy a donc dû s’adapter rapidement à une charge émotionnelle intense.
Il lui arrivait de craquer plusieurs fois, ce qui l’a finalement poussé à mettre une distance avec les auditeurs pour ne pas se laisser submerger.
3e Extrait interview audio de Rémy Souloumiac, ancien animateur de Radio Présence. Production par Judith Balayssac, le 22 octobre 2024.
“Surtout que moi, je recevais des messages des personnes qui déposaient des prières pour leurs défunts. J’en ai écouté des dizaines par jour, ça m’est revenu un petit peu dessus, mais après. C’était un effet “kiss cool”. Quasiment un an après, j’ai repris toute cette charge d’émotions.”
Ce dévouement n’a pas été sans conséquences. En addition à l’épuisement physique, Rémy a été très impacté émotionnellement, se retrouvant ainsi souvent en état de fatigue absolue :
“On avait des petites siestes de 10 à 20 minutes pour essayer de se reposer, parce que c’était quand même crevant !”
Pourtant, lui et sa collègue de l’époque, Corinne, ont tenu bon :
“ On n’avait pas le droit de craquer sur le moment, on faisait un peu les fous dans la radio, on a craqué à certains moments, on mettait la musique à fond, […] c’était rigolo. C’était une manière de décompresser et de surpasser tout ça, quand on quittait la radio à la mi-journée on était certes fatigués, mais on était toujours dans le tunnel.”
Une fois le premier confinement terminé, Rémy nous explique avoir ressenti une sorte de choc intérieur, une fois qu’il a pris du recul sur tout ce qu’ils avaient vécu durant ces deux mois.
“Après, j’avais l’impression de me réveiller d’un rêve, c’est une inhibition suprême”
Pour lui, comme pour nombre d’animateurs, cette période intense a laissé une empreinte indélébile, changeant durablement sa façon d’interagir avec les auditeurs et lui faisant réaliser l’importance de l’accompagnement social que la radio peut offrir en temps de crise.
Cette dernière lui a confirmé que ce média restait un pilier réactif et adaptable, capable d’accompagner les auditeurs en temps réel.
Dans cette même période de COVID-19, le format des podcasts, déjà en plein essor, a connu un véritable boom.
“Le podcast s’est bien installé, il s’est bien démocratisé, que ce soit sur Spotify ou sur les autres plates-formes d’écoute, même sur YouTube, il y a eu vraiment un énorme boom ! Je le vois sur les podcasts que j’ai déjà proposé. Pendant le covid, j’avais un nombre d’écoutes qui a augmenté alors que j’étais plus actif sur ce podcast. J’avais plus le temps de m’en occuper.”
Pour Rémy, ce format a été aidé par la crise et s’impose désormais comme un complément essentiel à la radio. Le podcast propose une proximité ainsi qu’une flexibilité qui est grandement appréciée des auditeurs.
Il ajoute que “Toutes les grosses radios ont lancé leur podcast” et que “le covid a vraiment propulsé le truc”.
Presque cinq ans plus tard, Rémy continue d’explorer ce format, convaincu que l’avenir de la radio se joue aussi au-delà des ondes.
La montée en puissance du podcast pendant la crise sanitaire
Durant la pandémie de COVID-19, le podcast a donc connu un essor remarquable. Confinements et restrictions ont forcé les auditeurs à se tourner vers des formats dématérialisés.
En effet, la consommation de ces contenus audio s’est intensifiée avec la crise, servant de relais à l’information et au divertissement.
Ce développement rapide a permis une alternative aux émissions traditionnelles, en rendant les contenus plus accessibles et surtout personnalisés.
Auditeurs mensuels de podcast en France, d’après les chiffres de N.Saidane, « Statistiques du Podcast en France 2024 (Chiffres Clés) »
En plus de répondre au besoin d’information sur le coronavirus, les podcasts ont aussi permis au public :
- de penser à autre chose,
- de s’intéresser à de nouvelles thématiques,
- ou simplement de se sentir moins isolés dans une période de confinement
En renforçant la proximité entre créateurs de contenus et auditeurs, le podcast a donc introduit une nouvelle routine d’écoute du public.
Graphique intitulé Platform behavior changes (FR = Changements de comportement de la plateforme) réalisé par “Megaphone”. Extrait de l’article de L. Delmoly, France Télévisions, MediaLab, « COVID-19, pas facile pour les producteurs de podcasts »
D’un côté, le podcast connaît un essor grâce à la pandémie. De l’autre, les radios, en baisse significative d’audience au début de la période, retrouvent une nette amélioration au fil du temps, à tel point que les “pics” d’écoutes du matin correspondaient à ceux des trajets en voiture avant le covid.
« Les pics d’écoute du matin et du soir ont chuté d’environ 20 %, mais on observe désormais un plateau d’écoute stable tout au long de la journée », explique Melissa Bounoua de Louie Media.
Joel Ronez de Binge Audio ajoute : « La première semaine, le nombre d’écoutes a brutalement baissé de 10 à 20 %, car les auditeurs ne prenaient plus les transports et avaient du mal à garder leurs habitudes. À la quatrième semaine, notre audience avait retrouvé son niveau d’avant-crise. »
Ainsi, ce format a permis de créer une expérience collective : celle du confinement partagé à travers nos propres choix de l’audio.
Retour en studio : allier formats traditionnels et innovations audio
À l’issue de la crise sanitaire, la radio traditionnelle a repris progressivement son rôle, en intégrant particulièrement les leçons tirées de l’essor des podcasts.
Les animateurs ont dû à nouveau réadapter leurs pratiques et leurs contenus pour faire face à une concurrence plus accrue des plateformes de podcasts, tout en retrouvant leur public dans les studios.
La période d’après covid a également été marquée par la recherche d’un nouvel équilibre entre les formats d’origine et nouveaux, témoignant d’une transformation durable dans les habitudes d’écoute.
À titre d’exemple, nous pouvons faire un focus sur Radio Occitania, avec le concept nommé #RADIOMAISON, décrivant ainsi idéalement le sujet et son contexte, alliant la radio et la vidéo en direct :
- Au cours du premier confinement, cela leur a permis d’alimenter leurs réseaux sociaux et de garder un contact visuel avec leur audience.
- À la levée des restrictions, l’expérience acquise durant ces mois intenses leur a permis de continuer à produire des émissions similaires. Aujourd’hui toujours, Radio Occitania diffuse et partage ce type de contenu en direct sur leur page Facebook.
Malgré ces programmes adaptés, on constate une perte considérable du public radio à postériori, se superposant à la précarité du milieu, comme le déplorait Cédric Rousseu au cours de l’interview de Radio Occitania, complexifiant ainsi la période post-covid.
À LIRE AUSSI — Les podcasts d’actualité en plein “boom” depuis le confinement. I. DURIEZ, 26 juin 2020.
À LIRE AUSSI — La programmation des radios en temps de Covid. Documentaliste Ina Theque, 5 février 2021.
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