Appel à communication

Du Covid 19 aux conflits armés : la radio face à une multiplicité de crises

Une crise est la conséquence d’une perturbation dont l’origine est extérieure ou intérieure ; elle est marquée par le désordre, l’instabilité et l’incertitude et connaît des phases de blocages et de déblocages (Morin, 1976). Sur le terrain politique, elle est « une rupture soudaine ou une aggravation d’une situation politique et sécuritaire préexistante » (Mongin, 2014). Qu’elles soient de natures sanitaires, environnementales ou naturelles, sociales, économiques, politiques et/ou militaires, elles questionnent les pratiques journalistiques, le positionnement des organisations médiatiques, les productions éditoriales et les interactions avec les autres acteurs. Ce colloque propose d’aborder ces situations multiples à travers le prisme du média radiophonique, média du direct, de l’attachement (Glevarec, 2017), de l’accompagnement du quotidien et le média des temps de crise par excellence. Au cours de ce colloque, plusieurs questions seront posées : comment les radios approchent et traitent ces contextes ? Comment le média lui-même se meut, agit et interagit en temps de crise ? En outre, ce colloque abordera ces problématiques dans le cadre des études radiophoniques, mais aussi dans le cadre d’études basées sur des analyses comparatives avec d’autres médias. Les approches seront historiques et contemporaines, interdisciplinaires en Sciences humaines et sociales, développées sur un plan local, régional, national et international.

Axe 1 : Conflits armés nationaux et internationaux : quelles approches radiophoniques ?

De longue date, les pouvoirs politiques et militaires craignent l’influence des récits médiatiques portant sur les crises et les conflits, et cherchent par conséquent à les orienter. Après la presse écrite, cette crainte se perpétue au XXe siècle avec la radio. Les utilisations de ce média sont diverses, au service de la résistance, de l’oppression et de la propagande, comme en témoigne la Seconde Guerre mondiale… Ces différentes utilisations se répètent dans les conflits suivants, notamment dans les conflits de la décolonisation souvent liés à la Guerre froide. Lors du conflit algérien (1954-1962), le poste de radio initialement considérée comme un outil de la domination coloniale devient un moyen d’entrer en communication avec la révolution (Fanon, 1968). La radio est, d’autre part, utile aux mouvements nationalistes populistes et aux mouvements issus du socialisme révolutionnaire en Amérique latine ainsi qu’aux mouvements de libération nationale situés en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud-Est et en Europe de l’Est.

Face aux manifestations diverses revendiquant liberté, indépendance et améliorations des institutions, les États, dans certains cas, assurent une surveillance et utilisent des méthodes répressives (contrôle de la diffusion, destruction d’émetteurs, brouillage de services, suspension de certaines émissions ou interdiction d’émettre, condamnation ou emprisonnement des journalistes) et occupent les ondes (propagande, personnalisation du pouvoir en temps normal et en temps de crise).

Cette instrumentalisation de la radio s’opère au sein des pays, mais également depuis l’extérieur via des radios étrangères, des radios clandestines à distance grâce à une mondialisation du média. Les radios internationales se développent conjointement aux radios nationales (Wuillème, 2007). Leur liberté éditoriale est variable, plus ou moins impactée par les orientations politiques des pays qui assurent leur financement. Elles peuvent faire l’objet d’intervention de l’État de diffusion (dernièrement Radio France Internationale a été suspendue provisoirement au Gabon lors des élections du 27 août 2023).

Les atouts associés – modicité, simplicité, rapidité, mobilité – qualités intrinsèques du média radiophonique vont susciter de nombreuses initiatives humaines dans le monde entier revendiquant de diffuser la voix des sans-voix (Cheval, 2006).

La présence d’une multiplicité de radios locales, nationales et internationales sur certains territoires garantit-elle pour autant le pluralisme de l’information ? Dans certains conflits, des opérateurs peuvent osciller de manière ambiguë entre les fonctions de pompiers et de pyromanes (Abdoulaye Seyni, 2021). Le financement de dispositifs radiophoniques par des ONG est-il une solution pour garantir la liberté éditoriale, où s’inscrit-il dans une autre forme d’asservissement ? Ces questions se posent en particulier en Afrique, où, pour des raisons techniques, financières et d’éducation, la radio est un média central dans les habitudes quotidiennes de la population et a été mise à l’épreuve par de nombreuses crises (Frère, 2016). Les initiatives des diffuseurs peuvent aussi engendrer des réactions violentes de la part des États belligérants. Par exemple sous la forme de cyberattaques et de rétorsions économiques. À ce propos la réaction de la Russie à l’activation de deux fréquences en Ondes courtes vers la Russie du BBC World Service en mars 2022 en est un exemple.

Les journalistes radio, dans leur couverture des crises, sont-ils ou se sentent-ils, en fonction du contexte et de leur nationalité, investis, d’une ou de plusieurs missions ? Quels récits produisent-ils de ces crises et de ces conflits ? Comment les journalistes représentent-ils l’« autre-étranger » et participent-ils à construire des figures de barbare, persécuteur, résistant, victime, héros, figures notamment présentes dans la couverture des conflits en ex-Yougoslavie (Charaudeau, 2001) ?

Axe 2 : Des crises sanitaires, environnementales aux crises sociales et politiques

La radio, comme d’autres médias, couvre des crises plus ou moins longues, que ce soit dans le cadre de sa mission classique d’information ou dans la défense d’intérêts particuliers. Plus que dans tout autre médias, elle a développé, au-delà des médias dominants, « une longue tradition de radioactivisme où la subjectivité est davantage assumée » (Poulain, 2016). Des radios libres se développent en France (Radio Lorraine cœur d’acier, Radio Quinquin, …), et dans d’autres pays (Radio Caroline, Radio Alice et les nombreuses radios issues de la libéralisation des ondes en Afrique dans les au cours des années 90, …) avant ou après la création des autorités audiovisuelles de régulation.

À ces combats de fond, s’ajoutent des périodes où les crises sont ponctuelles. En mai 1968, la radio joue un rôle essentiel dans la crise sociale (Cheval, 2009). « Une manifestation décidée à 15 heures réunissait 20 000 personnes deux heures plus tard, sans un seul tract, grâce à la radio » rapporte un des leaders du mouvement, Daniel Cohn-Bendit (cité par Tudesq, 1987). La radio peut être témoin de ces événements ou composante de ces évènements de révolte (Tudesq, 1987). Dans ce cas, parvient-elle à identifier les signes précurseurs d’une crise sociale (Révolution du jasmin en Tunisie en 2010-2011, …) ? Plus récemment, à travers les mobilisations en France de Nuit debout, des gilets jaunes et de la réforme des retraites, dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis des médias traditionnels et de développement des réseaux sociaux, la radio continue-t-elle d’avoir un rôle actif dans la couverture et dans la participation aux événements ? Les initiatives de web radio comme, par exemple, Radio debout, qui génère du débat public autour du mouvement Nuit debout (à partir de 2016) se sont-elles multipliées où lui préfère-t-on d’autres moyens d’expression ? Comment la radio a-t-elle pu couvrir un mouvement polymorphe comme les gilets jaunes (depuis 2018) sans leaders identifiables ?

Aux crises sociales et politiques, s’ajoutent les crises liées aux attentats particulièrement meurtriers de ces 30 dernières années (Louxor en 1997, New York en 2001, Madrid en 2004, Nairobi en 2013, Paris en 2015, Garissa en 2015, Nice en 2016 et plus récemment les nombreux attentats en Afrique ou en Asie). Comment les radios couvrent-elles les attentats de ces trente dernières années ? Comment couvrent-elles ces événements, notamment dans le cadre du direct ? La forte attente d’informations associée à un contexte fortement concurrentiel permet-elle une vérification suffisante des faits et un recul analytique ? Les différences entre médias entraînent-elles des approches éditoriales différentes, notamment entre radio et télévision (Bizien, 2023) ? Dépasse-t-on plus rapidement, en radio, le stade de la couverture axée sur l’émotion pour développer une information plus analytique ?

Dans un autre contexte récent plus spécifique, celle de la crise sanitaire mondiale, comme celle du Covid-19, marquée par une privation de liberté, un fort risque de contamination et un climat social anxiogène (compte tenu de l’absence de traitement et du nombre élevé de victimes), comment les journalistes ont-ils pu couvrir les événements ? Ont-ils contribué à assurer le lien social avec un public confiné à domicile ? Quel rôle ont joué les nouvelles technologies numériques dans la production de programmes depuis le domicile des journalistes et animateurs ?

Axe 3 : La gestion des crises par les opérateurs radio encadrés par les autorités de régulation

Des journalistes et techniciens se rendent sur le terrain des crises et de conflits armés envoyés par leur rédaction ou de leur propre initiative (avec parfois des commandes) pour les journalistes indépendants. Les crises produisent des situations souvent complexes, bousculant fortement les normes et les pratiques habituelles au sein des médias, fragilisant la production de l’information (difficulté d’accès aux sources pour produire une information vérifiée et pluraliste, difficulté de suivi des événements avec des pressions éventuelles) et mettant en jeu parfois la sécurité des journalistes (conflits armés, attentats, manifestations,…). Dans ce dernier cas, certaines organisations médiatiques mettent en place des procédures particulières ou envoient leurs journalistes en stage de formation pour apprendre à s’adapter à des conditions extrêmes avant leur départ pour des zones de conflits ; c’est le cas de France Médias Monde, qui propose avec l’Institut National de l’Audiovisuel, ce type de stage de formation pour des missions dans un territoire dangereux ; 460 journalistes et techniciens de presse écrite et audiovisuelle ont suivi ce stage depuis 2015 (Les Echos, 6 mai 2022). Ce type de stage a ainsi été organisé pour la préparation à la couverture de la guerre en Ukraine. L’organisation de la protection sur place, le financement d’un fixeur qui va accompagner et aiguiller les journalistes engendrent des coûts importants. Ces conditions, associées au risque accru d’enlèvement pour des raisons politiques ou financières, suscitent un arbitrage au sein des directions. Ces considérations, ajoutées à l’application de la loi de proximité expliquent la raréfaction de la couverture des conflits armés aujourd’hui qui ne relèvent pas d’enjeux politiques nationaux directs.

Des syndicats et des organisations non gouvernementales (Human Rights Watch, Fédération Internationale des Journalistes, Reporters sans frontières, Amnesty International,…) interviennent pour dénoncer publiquement les atteintes à la profession et agir pour leurs protections.

Le rôle des autorités de régulation de l’audiovisuel est en question dans ce type de crise. Ces autorités sont-elles indépendantes des pouvoirs et réussissent-elles à maintenir cette indépendance quand une crise nationale éclate ? Interviennent-elles, dans ces contextes sur la gestion des fréquences, sur le contenu de l’information ? L’autorité de régulation française, l’ARCOM a arbitré sur la distribution de médias russes comme Russia Today et Sputnik. Faut-il suspendre, révoquer des fréquences et si oui dans quelles conditions ? La production de fake news, les atteintes à la dignité humaine et plus généralement aux principes déontologiques, fréquentes en contexte de crise, suscitent-elles des interventions des autorités de régulations ? Les réseaux (ERGA, GOSRN, PRAI, RIARC, RIRM, REFRAM) abordent-ils ces questions qui peuvent par ailleurs avoir des incidences directes en matière d’intérêt national ?

En conclusion, nous pourrons ainsi nous interroger sur les radios avec leurs propriétés propres, leurs potentialités et leurs limites en temps de crises. Peuvent-elles, encore et toujours, générer des récits de crise singuliers et originaux, susceptibles de les connaître et de les comprendre, voire de les résoudre ou du moins de les dépasser ? La place de ce média évolue-t-elle dans l’environnement général médiatique, par rapport, entre autres, aux dispositifs socio-numériques.

L’attention portera également plus précisément sur les différents acteurs (journalistes locaux, correspondants permanents, envoyés spéciaux) qui assurent la couverture, les pratiques et cadrages médiatiques. Les questions de genre feront partie de notre étude. Il sera, d’autre part intéressant d’observer les interactions avec les commentaires numériques, l’analyse et la modération qui en sont faites, le rôle des nouveaux formats web comme le sont les podcasts par exemple…

Le contexte de l’action des organisations et des journalistes nécessitera une analyse : de l’action des nombreux acteurs, qu’il s’agisse des sources d’informations (politiques, militaires, autres), des autorités de régulations et des organisations non gouvernementales de défense des journalistes.

MODALITéS

 

Les propositions devront être soumises en français, en anglais ou en espagnol au plus tard le 25 avril 2024. La proposition comportera : un titre (et sous-titre), un résumé, 5 à 7 mots clés et la mention de son inscription dans une ou plusieurs des thématiques de l’appel. Elle développera la problématique, les hypothèses et les indications bibliographiques en 5000 caractères au plus. Les informations personnelles (nom, prénom, institution de rattachement, statut, adresse postale et électronique, téléphone) doivent être rassemblées en ouverture de la première page. Les propositions de communication seront envoyées aux deux adresses électroniques suivantes : sylvie.laval@ut-capitole.fr / secretariatgrer@gmail.com

Un accusé de réception sera adressé aux auteurs des propositions. Une évaluation des projets sera effectuée par les comités organisateur et scientifique du colloque.

Lors du colloque, les communications pourront être présentées en français, anglais ou espagnol. Si, la communication est réalisée en anglais ou en espagnol, elle devra obligatoirement être accompagnée d’une présentation visuelle (type PowerPoint ou similaire) en français rapportant l’essentiel de son propos.

Les réponses (acceptations, rejets, demandes de modifications) seront adressées aux auteurs à partir du 15 juin 2024. À l’issue du colloque, les communications définitives, reçues et présentées, feront l’objet d’une sélection en vue d’une publication. Dans ce but, une nouvelle sélection, en double aveugle, sera alors effectuée par le comité de lecture de la revue, selon les règles communes aux revues scientifiques.

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