Crise agricole et radios locales: Quand la terre ne répond plus
“Sans nous, il n’y aura plus de produits français à manger”, confie Loic Escourrou, coprésident des Jeunes Agriculteurs de l’Aude.Constitution de l’UNESCO, adoptée à Londres le 16 novembre 1945*
Acculés par la hausse globale des coûts, les agriculteurs français peinent à vivre de leur métier. Alors, confrontées à l’apathie des géants médiatiques, comment ces voix négligées peuvent-elles sortir du silence ? Dans ce contexte, les radios locales peuvent endosser leur rôle de média de proximité ?
Produire français: Assumer le Made In France
La flambée du prix de l’énergie, des matières premières et des intrants agricoles étouffe les exploitations. Les épisodes climatiques extrêmes réduisent tant la qualité que la quantité des récoltes. Face à ces défis, les exploitants, à genoux, se retrouvent piégés dans une spirale de dettes. Apparaît alors menacée une strate historique de la population française : les exploitations familiales à taille humaine, pourtant véritables piliers des territoires ruraux.
La désertification des campagnes s’accélère, les écoles ferment ou fusionnent, les services publics et nombreux commerces mettent la clé sous la porte. Les radios locales émergent alors de cette fracture. Bouées de sauvetage et véritables bastions de proximité, elles sont les dernières plateformes où les voix de la ruralité peuvent se faire entendre. Porteuses d’une parole authentique, elles combattent l’indifférence des grands médias nationaux.
En 2023, la crise agricole frappe de plein fouet les agriculteurs français. Déjà soumis à de fortes pressions économiques, climatiques et réglementaires, ces derniers peinent à voir la lumière. Cette crise tire ses racines dans une combinaison meurtrière. Sécheresses intenses, hausses de coûts de production et contraintes d’usages liées à la transition écologique sont sans précédent. Le manque d’eau a notamment ravagé des cultures et a limité l’accès au fourrage pour le bétail. Une menace directe à la viabilité de certaines exploitations. En parallèle, l’augmentation du prix des intrants majoritairement importés a rendu encore plus difficile le maintien de leur activité.
La transition écologique, bien qu’indispensable, a ajouté des contraintes supplémentaires. Les restrictions sur l’usage des pesticides non respectées par le voisin espagnol a par exemple fait monter la température dans les débats. La gestion de l’eau et l’implantation de cultures durables sont des décisions visionnaires sur le long terme. Néanmoins, elles asphyxient nos producteurs à l’heure où nous parlons. Cette situation a entraîné une forte mobilisation des agriculteurs qui ont manifesté afin de réclamer un soutien d’urgence de la part de l’Etat. Ainsi, des aides financières sont attendues pour compenser leurs pertes sur l’entièreté du territoire national.
Alors, le manque de mesures structurelles d’accompagnement couplé à un manque de reconnaissance renforce un sentiment de précarité. Cette absence soulève des questions sur l’avenir même de l’agriculture française.
Face à ces évènements, les agriculteurs se retrouvent à la croisée des chemins et les radios locales doivent être, pour eux, un mégaphone face à l’indifférence des médias nationaux.
Radios locales: Echos des campagnes
Les radios locales jouent un rôle crucial dans le quotidien des agriculteurs, particulièrement en période de crise. Grâce à une couverture territoriale adaptée, elles atteignent des zones souvent négligées par les grands médias. Elles assurent une présence continue dans les espaces ruraux isolés. Jouissant d’un format média à taille humaine notamment avec la présence de nombreux bénévoles, elles instaurent ainsi une relation de proximité et de confiance. Le discours y est directement ancré dans les réalités du terrain.
Jean-Charles Virlogeux, rédacteur en chef de la radio TOTEM en Aveyron nous a accordé une interview. Il souligne que les radios locales n’ont pas besoin d’être descriptives comme les médias nationaux, puisque les auditeurs de ces dernières connaissent les tenants et aboutissants des crises agricoles et veulent aller au cœur du sujet. Ce maillage local dense permet de diffuser des informations ciblées. Parmi cette liste figurent: les aides disponibles, les changements réglementaires et les innovations agricoles. En donnant la parole directement aux agriculteurs eux-mêmes, les radios locales favorisent un sentiment d’appartenance et de solidarité au sein de la profession.
Dans la même veine de soutien, les radios locales doivent aussi relayer la parole des syndicats d’agriculteurs, eux-même essentiels dans la revendication des besoins agricoles.
Syndicats agricoles: Une diversité de voix
Les syndicats agricoles jouent un rôle central durant cette crise, puisqu’ils portent les revendications des agriculteurs, aux abois. La Confédération Paysanne, la FNSEA, la Coordination Rurale et les Jeunes Agriculteurs défendent chacun une vision bien spécifique de l’agriculture. Ils reflètent ainsi les divergences dans les priorités au sein des réclamations.
. La CP soutient, par exemple, la nécessité d’avoir une agriculture locale et écologique tandis que la CR base son discours sur le besoin de prix plus rémunérateurs afin de préserver l’indépendance des exploitations.
. La FNSEA de son côté profite de son poids important dans le débat public pour plaider l’augmentation des aides financières et l’affaissement des pressions du marché international alors que les JA mettent l’accent sur le renouvellement générationnel de la profession.
Pour autant, ces derniers considèrent tous comme essentielle la communication autour du métier et de ses défis afin d’assurer l’avenir de la profession.
Pour ces différents syndicats, l’enjeu reste de se faire entendre dans un contexte national ou les revendications sont nombreuses et diverses. Les radios locales doivent être présentes à leur chevet afin d’agir comme un tremplin au niveau national. Cependant les différents syndicats nous partagent la même peur : certains agriculteurs envisagent d’entreprendre des actions indépendantes.
Souvent moins organisées et plus violentes, ces actions autonomes pourraient alors être reprises par les médias nationaux et décrédibiliser la lutte des agriculteurs. Elles affaibliraient la parole des radios locales et des syndicats déjà souvent ignorée. Les médias doivent, au sens des agriculteurs, être vecteurs d’espoir et de valorisation des professions agricoles, notamment pour inspirer nos productrices et producteurs de demain.
Jeunes et agriculture: Susciter les vocations de demain
D’ici 2030, près de 170 000 agriculteurs en France atteindront l’âge de la retraite. Cela soulève une question cruciale : celle de la relève dans un secteur essentiel et historique, pour autant en manque de vocation. Pour les 15–25 ans l’agriculture apparaît trop souvent comme un parcours flou, non gratifiant et trop exigeant. Les métiers agricoles ne sont que trop peu valorisés dans les programmes d’orientation dans l’enseignement secondaire, complexifiant leur manque d’attractivité.
Pourtant l’absence d’une relève agricole aurait de lourdes conséquences sur les territoires ruraux. Son impact sur l’environnement augmente le risque de dépendance aux importations alimentaires. C’est pourquoi il est primordial de transformer le regard des jeunes sur ces métiers.
Des initiatives de sensibilisation devraient être intégrées dans le parcours scolaire. Des actions de découverte et des partenariats entre établissements scolaires et exploitations agricoles pourraient être menés. C’est ici que les radios locales doivent avoir un rôle précieux à jouer. Elles sont responsables du relai des témoignages, de la valorisation des parcours de jeunes agriculteurs et de populariser la diversité des opportunités offertes par le secteur.
Les jeunes qui s’orientent aujourd’hui vers l’agriculture le font souvent par conviction. D’autres le font par passion pour la nature ou par désir de contribuer à une transition écologique. Selon le rapport 2020 du ministère de l’Agriculture, le renouvellement générationnel révèle que seulement 7% des chefs d’exploitations ont moins de 35 ans. Ces chiffres prouvent que l’absence d’implication des jeunes menace la durabilité du secteur agricole et la sécurité alimentaire à long terme.
Les médias locaux et tout particulièrement les radios de proximité pourraient ici jouer un rôle clé en renforçant cet élan. En donnant la parole à de jeunes agriculteurs, elles couvrent des initiatives agricoles novatrices. De surcroît, elles mettent en avant des projets de formation ou des stages locaux et permettent aux radios locales de devenir un puissant relais d’information mais surtout d’inspiration. Leur implication dans la promotion des parcours agricoles contribue à changer le regard des jeunes sur le secteur. Le rôle des radios locales ne doit pas pour autant s’arrêter là, c’est également elles qui doivent donner la parole aux voix singulières de nos campagnes.
Dès leur plus jeune âge, les enfants peuvent être initiés aux réalités du secteur agricole. Ces mesures leur ouvrent les portes d’un monde riche et diversifié tout en leur permettant de comprendre l’importance d’une production locale et durable. Les initiatives comme Le P’tit Agri, conçu pour les 7–11 ans, façonne le regard des enfants. Ce journal offre aux enfants la possibilité de découvrir de façon ludique les métiers de l’agriculture et les produits de leur région. Un seul but: leur inculquer un intérêt pour une alimentation locale et responsable.
En complément, les fermes pédagogiques jouent également un rôle essentiel. Elles accueillent les jeunes et leur permettent d’interagir directement avec le monde agricole. Ils découvrent ainsi les processus de production alimentaire, l’usage durable des ressources et le respect du vivant.
Dans cet idéal, les radios locales peuvent enrichir cette sensibilisation. La mise en lumière de pareilles initiatives est vectrice de récits d’expérience et informe parents et enseignants, sur les programmes locaux. Ces médias de proximité ont un autre rôle à jouer. Ils contribuent à diffuser largement l’importance de l’agriculture auprès des jeunes publics et à valoriser les actions menées par les acteurs de leurs régions.
Par exemple, la promotion de programme comme lait, fruits et légumes à l’école introduit les produits frais dans les cantines. Cette campagne est précieuse pour sensibiliser les enfants à la saisonnalité et au goût des produits issus de l’agriculture locale. Bien que ces initiatives soient parfois bridées par des contraintes budgétaires, elles instaurent les bases d’un lien durable entre enfants et produits locaux.
L’agriculture: Une affaire de femme
Aujourd’hui en France, un quart des exploitations sont gérées par des femmes, signe d’une féminisation croissante du secteur. Cependant la crise agricole de 2023 a accentué les vulnérabilités spécifiques aux agricultrices. Ces dernières sont fortement touchées par la hausse du prix et les difficultés d’accès aux ressources essentielles comme la terre et le crédit puisque nouvelles dans la profession.
Les radios locales doivent ici jouer un rôle essentiel en donnant la parole à ces femmes. Elles relaient leurs témoignages et sensibilisent le public à des défis uniques. Souvent impliquées dans des petites exploitations ou des circuits courts, elles perçoivent des revenus en moyenne inférieurs de 23,5% à ceux des hommes. En diffusant leurs réalités, les radios locales aideraient à faire reconnaître leurs besoins et à promouvoir des mesures afin de réduire les inégalités de sexe dans le secteur.
Radio TOTEM en Aveyron a d’ailleurs pris cette initiative récemment en mettant en lumière Clémence Cabri. Cette agricultrice à la ferme Cabrol doit « redoubler d’efforts pour être reconnue dans son travail et faire ses preuves dans un univers davantage masculin », leur confesse-t-elle.
Les radios locales doivent enfin être source de positivisme et d’espoir pour une population rurale souvent délaissée. Ainsi la promotion de nouvelles initiatives d’avenir est essentielle afin de garantir une diffusion de l’information pertinente à travers les territoires.
Consommateurs ou consom’acteurs ?
La crise agricole récente met en lumière les enjeux environnementaux cruciaux. Les sécheresses prolongées et les défis climatiques nouveaux affectent les rendements, poussant les agriculteurs à chercher des solutions durables. Dans cette dynamique, les marchés locaux deviennent centraux. Ils servent de point de rencontre entre producteurs et consommateurs, souvent confrontés à des prix de plus en plus élevés. Ce pourquoi, les français doivent naviguer entre désir de consommer local et contraintes budgétaires.
Les émissions des radios locales comme la radio TOTEM promeut régulièrement le marché local de Villefranche-de-Rouergue. Ces émissions régulières sensibilisent le public aux réalités des maraîchers face à la pression économique.
Le consommateur est au cœur du débat. Près de 70% des Français disent vouloir consommer bio mais l’accès reste inégal, surtout pour les ménages modestes. Les jeunes sensibilisés aux enjeux écologiques exigent davantage de produits bio. La radio locale met ici en lumière les choix difficiles auxquels les consommateurs sont confrontés et leur donnent la parole en leur permettant de discuter directement avec des producteurs. Se faisant, les radios locales montrent que cette crise agricole devient un miroir de notre engagement envers l’environnement.
La demande en bio est forte mais elle soulève néanmoins des questions. Doit-on rendre les produits bio abordables au risque de fragiliser les producteurs en diminuant leurs marges ou garantir une juste rémunération même si cela limite l’accessibilité ?
Les radios locales ont un rôle crucial à jouer en diffusant ces enjeux, elles alimentent une réflexion collective sur notre rapport à l’environnement et au soutien des agriculteurs locaux.
Rédigé le 30 octobre 2024 par Arthur Vermander, Oriane Suzineau, Hippolyte Rigot, Sarah Simeon, Pauline Saut, Kamilia Sultanova, Kaelin Soulié, Lucie Urru, Uniformisation du texte par Arthur Vermander.