Ondes Sous Pression : La Radio, dernière voix de Gaza

Après l’attentat contre Israël, le 7 octobre 2023, les palestiniens de Gaza sont plongés dans un conflit armé. Au sein de ce territoire enclavé, les gazaouis se tiennent informés par la radio quand les équipements sont disponibles et quand les journalistes sont en capacité de rapporter les faits.

Gaza sous les ondes : quand la radio reste l’unique voix dans les foyers assiégés

Dans un modeste salon de Gaza, le son dune radio s’élève au milieu du bruit des bombardements. Pour de nombreuses familles, cest le seul lien avec lextérieur, un moyen de sinformer sur l’évolution du conflit, de se rassurer, ou simplement de se sentir moins isolées.

La radio, média d’accompagnement en situation de crise : le récit de Momin Abujami, palestinien en France depuis 2018

Depuis son enfance, Momin se souvient davoir grandi au rythme des voix et des sons émis par la radio. Jai commencé à l’écouter quand javais peut-être 8 ou 10 ans,” raconte-t-il. 

Dans sa maison à Gaza, une chaîne restait allumée presque en permanence. Soit on l’écoute, soit on ne l’écoute pas, mais elle est toujours ouverte,” se remémore-t-il. Cette présence constante faisait de la radio bien plus quun simple appareil : elle devenait un compagnon du quotidien.

Pour Momin et sa famille, la radio était avant tout une source précieuse dactualité. Je me souviens que mon père avait un petit appareil qui faisait radio, il lemmenait partout. La radio en Palestine, cest quelque chose de très marquant, quelque chose qui nous accompagne tous les jours, surtout pendant les temps difficiles.”

On écoute principalement la radio pour savoir sil y a des bombardements à côté”

Cest durant les conflits que limportance de la radio se faisait le plus sentir. Pendant les guerres, il y avait un réel besoin de la radio à la maison,” explique-t-il. La situation les obligeait à se diviser en groupes, par crainte de mourir ensemble si leur maison était frappée, témoigne-t-il. Dans ces moments de survie, la radio restait le seul lien avec lextérieur, leur unique guide dans le chaos.

Pour découvrir en détail le témoignage de Momin Abujami, rendez-vous sur notre podcast

Aujourd’hui, dans la continuité de ces récits sur des faits passés, la radio, comme en témoigne Momin Abujami, représente toujours ce média de proximité pour une population habituée aux situations de crise.

 

Des radios à piles, dernier fil vers le monde extérieur

 

Dans la bande de Gaza, les postes de radio alimentés par des piles maintiennent la population informée. Face aux nombreuses coupures d’électricité, d’internet et de carburant, il est souvent impossible de brancher la télévision, l’ordinateur ou d’allumer son téléphone.

Les transistors se sont vendus en grande quantité depuis le début de la guerre et leur prix a augmenté de 9 euros, passant de 6 à 15 euros.

« Quand je n’ai plus de batterie, je marche dans le camp et je tends l’oreille pour entendre les radios des autres » témoigne Oum Ibrahim le 27/12/2023 dans cet article

Face à ce manque d’équipements, des ONG comme la Croix-Rouge ont distribué des radios à batterie pour rétablir un lien d’information. 

Les chaines de radios émettrices impactées par la destruction des équipements

Avant la guerre de Gaza, 24 radios locales se partageaient le territoire, selon Courrier International. Aujourd’hui, celles-ci ne peuvent plus émettre à cause de différentes pénuries.

Infographie réalisée sur Genially, par Jade Taron le 10 octobre 2024

Depuis le 7 octobre, les combats et bombardements sur la bande de Gaza ont entraîné une pénurie de locaux et d’infrastructures de diffusion. Dans ce contexte, les émissions se sont raréfiées.  

Les reporters de guerre face à de nombreux périls

Gif réalisé sur Knightlab par Rachel Granadel le 15 octobre 2024

Les conditions de travail, liées comme pour les civils, aux coupures d’électricité et d’internet, aux pénuries de carburant rendent les reportages presqu’impossibles.

Rami Abou Jamous, journaliste palestinien documentant la crise, témoigne : « Recharger les batteries de téléphone coûte désormais 1 shekel, soit environ 0,24 €. » Mais les tarifs senvolent rapidement pour les appareils plus gourmands en énergie. En période de guerre, l’accès aux informations a un prix — un prix qui ne cesse de grimper avec les besoins en énergie de chaque outil de communication.

Le prix du carburant qui permet d’aller couvrir des événements est également excessif : « Un litre d’essence peut coûter jusqu’à 45 dollars… Donc parfois, on préfère marcher une heure plutôt que de démarrer la voiture, car on ne sait pas si demain on trouvera encore du carburant, et il pourrait y avoir un déplacement plus important à faire », déclare Adel Zaanoun, journaliste pour l’Agence France Presse à Gaza depuis 30 ans. L’AFP fait partie des rares médias internationaux à avoir une présence constante à Gaza, et alimente les médias internationaux dont de nombreuses radios nationales.

« Si internet marche, via des groupes de journalistes sur WhatsApp, on se parle pour se dire où ça a frappé. S’il n’y a pas de connexion, on essaye de se repérer au bruit et, une fois dans le quartier, ce sont les gens qui nous guident », explique un photographe de l’AFP à Gaza, en poste depuis 24 ans, Mohammed Abed. Et l’usage de la voiture, avec deux millions de personnes déplacées, quelques mois après le début de la guerre est un défi : « il y a des embouteillages partout, il faut se faufiler entre les cohortes de déplacés, les tentes montées au milieu des rues, les étals improvisés partout et les quartiers entièrement rasés qui ne sont plus que des décombres », raconte-t-il.

Mais les difficultés majeures sont occasionnées par les tirs de roquettes et de chars ainsi que les bombardements qui rendent la présence sur le terrain extrêmement dangereuse. Les reporters locaux sont en première ligne et beaucoup ont été tués dans ce que Médiapart qualifie le 9 octobre 2024 le « cimetière à ciel ouvert ».

Tous médias confondus, entre le 7 octobre 2023 et le 25 juin 2024, 108 journalistes ont perdu la vie dans la bande de Gaza. Parmi eux, 103 étaient Palestiniens, 2 Israéliens et 3

Montage photo réalisé le 16 octobre 2024, par Benjamin Bridanne à partir de cet article Mediapart

Et le bilan s’est alourdi depuis, selon la Fédération Internationale des Journalistes.

Certains de ces journalistes servaient de fixeurs pour la presse internationale. Acteurs invisibles, ils ont pour vocation de traduire, trouver des contacts, guider les journalistes étrangers. Restant dans le pays en crise alors que les journalistes internationaux repartent, leur sécurité est fragile ; Ainsi, Rushdi Sarraj, fixeur pour Radio France depuis 2021 a été tué sous les bombardements le 22 octobre 2024.

Face à la mort des journalistes à Gaza, des organisations internationales enquêtent

Plusieurs organisations de défense des journalistes enquêtent sur ce nombre exceptionnellement élevé de journalistes morts sur un terrain de guerre (Article 19, Committee to protect journalists, Forbidden Stories, Reporters Sans Frontières) ainsi que des entreprises médiatiques (Radio France, Médiapart).

L’AFP et Forbidden Stories ont enquêté sur une frappe qui a gravement endommagé le bureau de l’AFP à Gaza le 2 novembre 2023.

📹 Le bureau de l'AFP à Gaza, gravement endommagé le 2 novembre par une frappe, a probablement été touché par des tirs de char israélien, selon une enquête menée par l'AFP et plusieurs médias internationaux sous l'égide de Forbidden Stories, pour laquelle plusieurs experts ont… pic.twitter.com/tpAJcACrub

— Agence France-Presse (@afpfr) June 25, 2024

Terrain difficilement accessible depuis plusieurs années, Gaza devient, sous l’impact du blocus, une zone interdite aux journalistes étrangers. Ces derniers essaient, par conséquent, d’entrer par tous les moyens, en contact avec des correspondants locaux.

 

Produire de l’information à distance : la frustration des journalistes étrangers

*Le ressenti d’Étienne Monin, reporter à Radio France

Lors de notre entretien du 28 octobre 2024, Étienne Monin explique l’approche éditoriale de Radio France. Il peine à vérifier les informations. Loin de se limiter à citer des chiffres, il essaie d’humaniser la couverture par des témoignages de gazaouis. La tâche est complexe tant cette société est « fermée, complexe, avec ses propres codes » confie-t-il.

Rarement un conflit a fermé autant de portes aux reporters, un obstacle que Monin tente de contourner, parfois en utilisant différents moyens de communication.

Il évoque les différences entre les journalistes étrangers et les journalistes locaux qui sont très exposés. Porter un gilet pare-balle est à double-tranchant ; geste de protection, il contribue aussi à rendre leur identité professionnelle visible.

Face aux difficultés actuelles de couverture de ce conflit armé en particulier, il souligne la ligne éditoriale de Radio France : « notre défi est surtout de maintenir un équilibre entre les points de vue israéliens et palestiniens pour éviter toute accusation de partialité ».

Un témoignage à découvrir pour comprendre la réalité dun métier où chaque information devient un défi.

Dans les zones de conflit, chaque voix de journaliste est une victoire pour la vérité. Soutenir leur sécurité et leur liberté, c’est garantir notre droit à l’information. Soutenir la vérité certes, mais à quel prix ?